Tbilissi, la capitale de la Géorgie accueille ce samedi 13 décembre la 23e édition du concours de l’Eurovision Junior, quatorze mois après le déclenchement d’un mouvement hostile au pouvoir pro-Russe. Ouverture tardive de la billetterie, changement hâtif du lieu de l’événement, fin des accréditations de journalistes, l’organisation de cet événement est lue par des observateurs comme un signe de fébrilité. Le gouvernement souhaite faire du concours une vitrine.
Tbilissi, la capitale de la Géorgie se prépare à recevoir le concours de l’Eurovision Junior ce samedi 13 décembre. Il y a quelques semaines, des panneaux publicitaires montrant Andria Putkaradze, le gagnant de l’édition précédente, ont fait leur apparition en ville.
Qui représente la France à l’Eurovision Junior 2025?
Lors d’une conférence de presse qui s’est déroulée le 27 novembre, la ministre de la Culture, Tea Tsulukiani s’est félicitée de l’organisation de cet événement espérant que l’accueil de ce concours permette que « notre voix, notre culture et la jeunesse géorgienne soient représentées en Europe (…) Pour le pays, cela signifie un tourisme en plein essor et un développement économique durable et continu. C’est cela, notre intégration européenne: être intégrés et indissociables grâce au talent et à l’art », rapporte L’Eurovision au Quotidien, un site spécialisé sur l’actualité du télécrochet.
Son rédacteur en chef, Rémi Pastor, soulève auprès de BFMTV le paradoxe de cette déclaration.
« Il y a une dissonance dans ses propos parce qu’elle parle d’intégration européenne à un moment où la Géorgie s’éloigne de plus en plus de l’Union européenne ».
La contestation perdure
Le 16 novembre 2024, le jeune chanteur Andria Putkaradze remportait pour la Géorgie le concours de l’Eurovision Junior à Madrid avec sa chanson To my mom. Le lendemain de sa victoire, il était félicité par le Premier ministre, Irakli Kobakhidze.
Au même moment, des dizaines de milliers de manifestants se réunissaient pacifiquement devant le Parlement et dans plusieurs avenues de la capitale, Tbilissi. Ils protestaient déjà depuis deux semaines contre les résultats des élections parlementaires qui avaient vu le parti pro-russe « Rêve géorgien » l’emporter. Les manifestants et l’opposition dénonçaient des fraudes électorales.
Des manifestants dans les rues de Tbilissi, en Géorgie, le 1er décembre 2024 © Giorgi ARJEVANIDZE / AFP
Le 28 novembre, la colère s’est intensifiée lorsque le gouvernement a annoncé le report du processus de négociation d’adhésion à l’Union européenne alors que la majorité des Géorgiens y est favorable. La police réprime de plus en plus fortement les rassemblements en utilisant des canons à eau et des gaz. Le 5 décembre, le Premier ministre promettait de faire “tout le nécessaire pour éradiquer complètement le libéralo-fascisme”, et accuse le mouvement d’être financé de l’étranger. Des violences ont commencé à émailler ces manifestations et des figures de l’opposition ont été arrêtées.
Une dérive autoritaire du pouvoir
« Depuis un an, le pouvoir semble appliquer les mêmes méthodes que la Russie. Il y a des lois répressives qui sont prises toutes les semaines. Le gouvernement géorgien passe son temps à faire porter la responsabilité des problèmes sur l’Europe qui est devenue son bouc émissaire. Ils ont une approche cynique qui consiste à dire qu’ils ne sont ni-pro occidentaux, ni pro-russes », explique Clément Girardot à BFMTV.
Ce journaliste indépendant a été exclu du pays où il travaillait depuis une dizaine d’années au printemps dernier sans raison.
Près d’un an après le déclenchement de ce mouvement, les participants sont moins nombreux mais continuent de se réunir toutes les semaines devant le Parlement. En octobre dernier des manifestants ont tenté de faire irruption dans le palais de la présidence. Le Premier ministre a dénoncé un coup d’Etat et menacé l’opposition de sanctions.
Début décembre, la BBC a révélé dans un reportage qu’un agent chimique ayant provoqué des difficultés respiratoires et des vomissements avait été aspergé sur les manifestants, en novembre 2024, à l’aide de canons à eau.
Une organisation chaotique du concours
C’est donc dans ce contexte que la Géorgie organise ce concours de l’Eurovision Junior. « C’est un pays phare de l’Eurovision Junior avec quatre victoires. C’est le pays le plus titré. L’événement est ancré dans le pays donc forcément, il y a une volonté du gouvernement de le mettre en avant », commente Rémi Pastor, qui relève cependant des éléments inhabituels.
D’abord, il y a eu le changement de lieu de l’événement fin novembre. Initialement, la compétition devait se dérouler au palais olympique de Tbilissi, elle va finalement avoir lieu dans une salle de la capitale dédiée aux compétitions de gymnastique.
« Il y avait déjà eu un changement de salle en 2017 lorsque le pays avait accueilli l’Eurovision Junior la première fois, mais il était intervenu plusieurs mois avant l’événement, pas trois semaines! Le hall de gymnastique offre une capacité d’accueil bien moindre et il est vieillissant », indique Rémi Pastor.
Le sociologue de formation relève que la billetterie n’a été ouverte qu’au début du mois de décembre. « On a des préparatifs un peu chaotique Habituellement, les télédiffuseurs sont prompts à communiquer. On ne pouvait pas mieux s’y prendre pour ne pas accueillir de spectateurs étrangers », ajoute-t-il.
Enfin, et pour la première fois depuis l’organisation de cet événement, aucune accréditation n’a été accordée pour les journalistes.
« L’Union européenne de radio-télévision veut davantage protéger les participants et leurs délégations qui sont victimes de déferlements de haine sur les réseaux sociaux. L’accès aux candidats avait déjà été restreint l’année dernière à Madrid aux seuls journalistes professionnel mais cette année, tout le monde est concerné, ce qui interroge à l’aune de la situation géorgienne », note le rédacteur en chef de L’Eurovision en Direct.
La mise au pas de l’audiovisuel public géorgien
Le radiodiffuseur public Georgian Public Broadcaster (GPB), organisateur de l’événement est épinglé par Reporters Sans frontières pour son alignement avec le pouvoir en s’en faisant le fidèle relais. Les journalistes jugés non-compatibles avec sa nouvelle ligne éditoriale ont été évincés. Elle a d’ailleurs fait l’objet des critiques de la Commission européenne dans son rapport sur l’élargissement publié en novembre dernier.
Les grands événements culturels ou sportifs peuvent être le théâtre de manifestation d’hostilité du peuple géorgien à l’égard du gouvernement. Clément Girardot rappelle par exemple la bronca subie par le basketteur Giorgi Shermadini qui faisait ses adieux au public la semaine dernière lors de son dernier match avec la Géorgie. « Alors qu’il faisait son discours, il a remercié le Premier ministre et le public a commencé à le huer », relate-t-il.
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